La prière de Garush
Garush fronça les sourcils en découvrant
le navrant spectacle : La belle Chapelle du Centre du Monde, lieu de
culte, de rassemblement et symbole de la dévotion à la déesse Mun-di, avait été récemment chamboulée par un visiteur
indésirable. L’indélicat personnage avait déplacé certains objets, modifié la
décoration avec divers graffitis d’un goût douteux, et rajouté au tableau des
objets n’ayant rien à faire ici. En grognant, le vieux Durakuir
arracha du mur les parchemins collés à la hâte vantant les mérites et la
solidité des masses « Chtéclate »,
fournisseur réputé mais donc la publicité tapageuse était quelque peu
envahissante, et surtout totalement déplacée en ces lieux de recueillement.
Rapidement réduits à l’état de boules de parchemins, ils finirent dans
l’estomac du Trõll. Certains autres parchemins et
tentures rajoutées représentaient de jeunes Trõllettes
fort peu vêtues prenant des poses
aguichantes. S’il les enleva aussi, Garush le fit
avec précaution pour ne point les abîmer. Il les rangea ensuite consciencieusement
dans son barda, histoire de les examiner plus en détail lorsqu’il en aurait le
temps. Les graffitis furent aussi rapidement effacés : rien ne résiste à
la salive d’un Trõll adulte. La pierre et le marbre
reprirent leur éclat brillant, un peu trop d’ailleurs : l’action de Garush avait laissé de belles « traces de propre »
sur les murs et les colonnes concernés. Du coup, c’est la première chose que
l’on remarquait en entrant dans la Chapelle. Résigné, le Durakuir
entrepris de finir le « nettoyage » de toute la caverne, ce qui lui
prit beaucoup plus de temps que prévu. Enfin, la langue engourdie, le souffle
court mais l’esprit joyeux, Garush contempla son
œuvre : la Chapelle brillait de mille feux. Il ne restait plus qu’à
remettre en place les divers objets déplacés. Sa mémoire de chasseur l’aida
grandement à se remémorer le décor initial. Les grosses pattes velues mais
agiles finirent rapidement le travail. Bientôt, il se resta plus une trace du
passage de Cradoc, le Trõll
responsable du « chipouillage » de la
Chapelle, comme disait Pet-Troll (Garush
pensait quand à lui que le pénible avait mis un sacré bordel, et que même qu’il
y avait des baffes qui se perdaient…).
Satisfait, Garush entreprit alors de
restaurer l’harmonie des lieux. Il n’avait pas l’habitude de prier à la
Chapelle, il laissait cela aux membres du Clan qui avait des prédispositions
pour cette activité somme toute contemplative. Mais il était l’un des deux
derniers Sages Fondateur du Clan du Centre du Monde, un des favoris de la
Déesse, laquelle ne l’avait pas choisi pour rien. D’ailleurs, il l’honorait tous
les jours, à sa manière : pour Garush, la
Déesse ETAIT la montagne, le lieu de vie et de mort des Trõlls.
Tuer des monstres, rigoler avec les copains, massacrer des ennemis et baffrer aux festins était sa façon de lui rendre hommage, tâche
dont il s’acquittait parfaitement avec le plus grand plaisir.
Bien qu’il ne le fasse qu’exceptionnellement, Garush pria longuement, avec
ferveur, pour effacer les traces intangibles du passage de Cradoc.
Son histoire personnelle le désignait d’ailleurs pour cette tâche : ami de
Super-Bouffon, le protecteur des Arcanes, il avait
maintes fois eu maille avec ledit Cradoc, même si
certaines de ces rencontres s’étaient très mal terminées pour le Durakuir. Ce dernier s’adressa donc à sa Déesse bien aimée,
mais dans son style personnel, si particulier :
« Ö Mun-Di, Mère de tous les Trõlls, entend ma prière. Je n’ai pas pour habitude de
t’embêter pour des broutilles, ni même de te prier de manière "classique", comme
qui dirait, pour un oui ou non. Mais là, toi seule peut m’aider à effacer les
traces du passage de Cradoc dans notre belle
Chapelle. Ce sombre goret a déplacé plein de trucs, gribouillé des insanités
que même pas j’oserai les répéter en présence d’une Dame, posé des tentures et
collé des affiches qu’on rien à faire là sur les murs de not’ caverne. Alors
j’ai un peu tout nettoyé, même que ça brille et que c’est joli (mais que j’ai
un arrière goût dans la bouche). J’ai tout bien rangé, et j’ai viré les
tentures et parchemins avant de les boulotter (enfin, presque tous, mais ceux
qui restent sont plus sur les murs). Comme
tu peux le constater, notre Chapelle est toute belle maintenant. Alors si ça
pouvait être un effet de ta bonté que d’y redorer son blason, comme on dit, nul
doute que tes enfants les Trõlls n’en seraient que
plus joyeux. Et même que je crois que pour fêter ça, ils feraient un grand
massacre de monstres et autres bestioles, avant de finir autour d’un grand
banquet convivial et tout et tout. En tout cas, moi, c’est ce que je ferais.
Alors ce serait dommage que tu ne le fasses pas (mais attention, hein ? je
te force pas : tu fais ce que tu veux). En tout cas, c’est sympa de m’avoir
écouté, et on apprécierait vraiment le retour de la sérénité ici. Au nom du
Clan et de tous les Trõlls du Hall (et même des
raclures qui ne le méritent pas), je te remercie. »
Si le texte peut paraître bref, il fallut néanmoins un long,
très long moment à Garush pour adresser sa
« supplique » à la Déesse. Rien d’étonnant de la part d’un être plus
habitué à fendre des crânes et manier l’épée plutôt que le verbe. La prière se
termina quand même, tard, très tard. Alors un vieux Durakuir
fatigué mais satisfait se releva lentement. Avec le sentiment du devoir
accompli, Garush retint son souffle et contempla la Chapelle
d’un œil attentif. La Déesse allait-elle répondre à sa demande ?